SOUVENIRS D'ÉTÉ

L’école est finie!  Dans l’autobus qui nous ramène une dernière fois à la maison, c’est l’euphorie.  Le chauffeur endure patiemment les effusions de joie en se disant lui aussi que, pendant deux mois, il n’entendra plus les petits monstres.  Le 23 juin après-midi, on entrait dans un état d’apesanteur dans lequel nous flotterions pendant des vacances éternelles.  Les pique-niques, les baignades, les longues soirées à jouer dehors, la visite; ce qu’on allait se payer du bon temps!

Ça, c’était compter sans nos mères.  Pour elles, les vacances se terminaient.  Courageuses et fatalistes, elles s’ingéniaient à occuper la marmaille.  Première sortie des vacances :  les fraises des champs.  À la queue leu-leu, du plus grand au plus petit, la dimension du bol proportionnelle à la taille de la personne, nous nous dirigions vers les lointain champs de fraises.  La première demie-heure, ça allait… on avait du cœur et les mouches noires ne nous avaient qu’effleurés.  On ramassait les moins mûres et on mangeait les plus rouges et juteuses.  Invariablement, ces odyssées se terminaient sur de grands cris d’effroi :  une couleuvre.  Vous ne saviez pas que les couleuvres adoraient les fraises?  En tout cas, si elles ne s’empiffrent pas de fraises, elles adorent terroriser les enfants qui en ramassent.

Venaient ensuite les foins.  Ah, la bonne odeur du foin fraîchement coupé!  Les premiers jours, c’était pas si pire.  Les grands forçaient, les petits foulaient, avant que n’arrivent les balles de foin, bien sûr.  Après trois jours de « foin », on était prêt à laver la vaisselle pendant des journées entières, juste pour échapper à cette odeur jaune et humide qui vous remplissait les narines vingt-quatre heures par jour.   Et puis il y avait les mulots qui se cachaient dans le foin; les souris, ça surprend toujours.  Une chance que ça ne durait qu’une dizaine de jours, à moins que vous n’ayez eu un père prévoyant qui achetait le foin de tout le voisinage; dans ces cas-là, le supplice pouvait durer des semaines!

Venaient ensuite les framboises.  C’était pas mal mieux que les fraises parce que plus grosses; les bols se remplissaient rapidement.  L’odeur et le goût des framboises; rien ne s’y compare.  Les plus parfaites étaient consommées sur le champ; les moins belles faisaient tout de même de belles tartes.  Mais le problème avec les framboises, c’est qu’elles sont jalousement gardées par les guêpes.  Nous retournions à la maison avec un œil enflé ou une fesse douloureuse.  Une piqûre de guêpe, ça n’a jamais tué personne, mais sur le coup, ça vous mobilise le système nerveux.  Si vous aviez le bonheur d’éviter la piqûre de guêpe, l’herbe à puce vous rattrapait.  Je n’ai jamais décidé lequel des deux j’aimais le mieux :  la piqûre ou la démangeaison.  Mais avec un peu de patience, on passait à travers; après tout, les framboises ne durent qu’une semaine.

Les mères étaient certes des êtres pleins de ressources :  pas de répit pour les écoliers en vacances.  Les premiers jours d’août goûtaient les bleuets.  Le papa, la maman, les enfants, grands ou petits paniers sous le bras, se dirigeaient joyeusement vers la montagne secrète où de généreuses grappes de bleuets les attendaient.  Après une montée qui nous laissait les jambes molles, on cherchait ces divines grappes de gros bleuets qui devaient tomber tout seuls dans le panier.  Mais les bleuets, eux, décident de leur grosseur.  Il y avait des jours où ramasser un panier de bleuets vous faisait rêver des bancs d’école.  Maigres et clairsemés, on glanait entre les blancs et les bleus, en prenant grand soin de garder le contenu du panier très propre sous peine d’avoir à les nettoyer pendant toute la soirée.  Nous n’étions pas les seuls à chercher les belles grappes.  Les ours rôdaient; le moindre bruit faisait battre le cœur à tout rompre et au diable le panier de bleuets, on prenait la poudre d’escampette.  D’autant plus que les enfants voisins nous racontaient des histoires d’ours qui avaient dévoré des enfants d'une seule bouchée.  Quand les bleuets étaient terminés, on pouvait penser à prendre des vacances!

Mais les mère, elles, ne lâchaient pas.  Comme on avait ramassé tous les petits fruits qui entraient dans la composition des tartes, puddings et confitures, elles se mettaient en frais de préparer les vivres pour l’hiver.  Cornichons, ketchup rouge, vert ou jaune, tomates, fèves, citrouille et compagnie; les conserves valsaient pendant deux semaines.  C’était presqu’à regretter les fraises.  Quand tous les petits et grands bocaux de la maison étaient remplis et entassés sur les tablettes du garde-manger du sous-sol, on se disait qu’enfin, on allait profiter des vacances… une semaine avant que l’école ne recommence.

Entre les fraises, les foins, les framboises, les bleuets et les conserves, il nous restait le dimanche, bénédiction de Dieu pour la famille.  Le passe-temps favori des enfants :  le pique-nique.  Il y avait trois niveaux de pique-nique :  dans le parterre devant la maison, chez les voisins, et l’ultime, le pique-nique près d’un lac avec toute la parenté.  Nos mères, qui ne se laissaient jamais abattre, préparaient une montagne de sandwiches, choisissaient les plus beaux concombres pour épater les belles sœurs et remplissaient les thermos de Kool-Aid.  Je ne me rappelle plus exactement comment on faisait pour entasser dix personnes dans une auto; il devait y avoir de la superposition.  Notre plus grand plaisir, c’était de faire nous-mêmes nos sandwiches :  à l’oignon avec moutarde, aux radis avec moutarde, au concombre avec moutarde… la moutarde étant très à la mode dans ce temps-là.  Le soir ramenait quelques estropiés :  une mouche dans l’œil, une coupure au pied, un coup de soleil écarlate.  Nos mères « béquaient les bobos » et on s’endormait tout de même sans jamais compter les moutons.

Enfin l’école.  Il était temps!  Bronzés, musclés et épanouis, on débarquait dans la cour d’école, chaussés de nos beaux souliers neufs, achetés avec l’argent des bleuets, et portant fièrement nos sacs d’école vides qui sentaient le cuir neuf.  Les mères commençaient à respirer, vidées de leur idées brillantes, et nous, on pouvait enfin se reposer des vacances et de nos mères.  À l’école, on pouvait se permettre de rêvasser les quatre quarts du temps, se remémorant le goût des petites fraises, l’odeur des foins, les gros bleuets qu’on n’avait pas trouvés, nos baignades avec les cousins et les cousines.

Y a pas à dire, les souvenirs de vacances sont toujours plus parfumés et plus sucrés que la réalité.  Bonnes vacances et profitez-en pour vous reposer!

Monic Roy